Que raconte une carte postale ?
Reprenons une
carte postale qui figure dans le bulletin n°2 sur les commerces de Pîtres,
celui du 13 rue des Moulins et cherchons modestement à l’exploiter. En
particulier on peut chercher à dater
cette carte. Le timbre, le cachet mais surtout les personnages peuvent nous
aider. Mais on peut apprendre bien d’autres choses...
LE TIMBRE
La
semeuse camée vert foncé 5c ne renseigne pas sur la date de la carte car ce
timbre a été en service de 1907 à 1921.
On
l’utilise pour 5 mots plus signature
LE CACHET DE LA POSTE
La carte a été
postée de Romilly sur Andelle Eure le 14 avril 1908, ce qui coïncide bien avec
le timbre
La
photo est donc antérieure à 1908
LES TOITS DE CHAUME
Beaucoup de
maisons basses à Pîtres conservèrent leur toit de chaume jusqu’aux environs de
1930-1940. En 1856, sur 290 maisons, il y en a 220 avec toit de chaume et 39
avec un étage. En 1886, il n’y a plus que 163 maisons à toit de chaume mais 58
avec un étage : on construit !
LES FENETRES OBTUREES
Une dizaine
d’années après la Révolution française, en 1798, sous le Directoire, un nouvel
impôt a été levé en France : un impôt qui taxait les propriétaires en
fonction du nombre de portes et de fenêtres de leur maison.
C’est pourquoi les
fenêtres furent bouchées !
Peu à peu, les
médecins s’irritèrent des conséquences de cet impôt : les habitations
devenaient de plus en plus sombres, elles étaient mal aérées, notamment dans
les quartiers pauvres. Voilà pourquoi cet impôt qui, de toute façon ne
rapportait pas à l’État autant qu’il l’avait espéré, fut aboli en 1926. Sur cette photo plus récente les fenêtres ont
été rouvertes.
Les toits de
chaume sont encore là ! on lit encore épicerie Lesueur, mais plus de réclame.
TARDIEU
C’est une très
petite maison d’éditions sise à Pont de
l’Arche. On ne la retrouve pas dans la liste des maisons d’éditions du début
du XXe siècle.
LA MAISON EPICERIE LESUEUR
Document prêté par Mme Bourdet petite fille de Mme Lesueur photographiée devant sa boutique |
On dispose du plan de la maison qui doit dater de sa construction. Sur le plan il apparaît nettement le mot « boutique ». Cette construction a donc été réalisée pour faire une maison d’habitation mais aussi un commerce.
Beaucoup
de ces maisons de briques furent construites à la fin du XIXe.
LES PERSONNAGES
La dame est Mme Alexandrine Lesueur née Langlois, le petit garçon son fils
Maurice, la petite fille sa fille Lucienne
M et Mme Lesueur se sont mariés en 1893. Les parents de M Lesueur étaient épiciers à
Pîtres d’après l’état civil.
Etait-ce déjà dans cette maison ?
Maurice est né en 1896, Lucienne en 1898.
Leurs âges sur la photo devraient permettre de la situer entre 1904 et 1908.
L’autre personnage avec le canotier est
inconnu.
On voit bien qu’ils posent et qu’ils sont
habillés pour la circonstance : chemisier en dentelle et chignon brioche pour
Madame, anglaises et rubans pour la petite fille.
QU’Y A–T-IL DANS LES VITRINES ?
Dans
celle ci-dessus, il y a des cartes postales plus anciennes mais peut-être du même photographe C’est
presque une mise en abîme
Dans
celle ci-dessus, l’agrandissement ne permet pas de faire un inventaire : des
bougies sur des bougeoirs, des lampions, des verres, des cadres.... On voit que
les objets sont disposés sans ordre mais avec des dentelles sur les étagères.
LA RECLAME MEUNIER
La publicité qui
apparaît au premier étage est celle du chocolat Menier.
C’est l’occasion de découvrir un dessinateur inconnu Firmin Bouisset (1859-1925) dont les illustrations sont encore présentes dans nos mémoires (si on a plus de soixante ans).
C’est l’occasion de découvrir un dessinateur inconnu Firmin Bouisset (1859-1925) dont les illustrations sont encore présentes dans nos mémoires (si on a plus de soixante ans).
Pour
promouvoir sa marque, la famille Menier (les fils d'Emile-Justin : Henri
(1853-1913) et Gaston (1855-1934)) fait appel à la réclame. Firmin Bouisset
réalise en 1892 la première affiche sur laquelle apparaît la petite paysanne
(c’est la fille de l’illustrateur Yvonne qui a huit ans quand elle est
immortalisée ; elle décède en 1977 à l’âge de 94 ans) bien habillée, nattée vue de dos, une barre de chocolat à la
main, traçant d'une écriture mal assurée "Eviter les contrefaçons",
ou parfois « Chocolat Menier » un parapluie rouge et un panier rempli
de boites et emballages Menier à ses pieds.
1892 |
1894 |
1896 |
Cette image est ensuite reprise et légèrement modifiée, elle se retrouve sur le marché américain en 1894 avec la perte de son parapluie et l'absence d'herbe au sol rendant ainsi l'image plus urbaine.
1930 |
1948 |
Le design de la petite fille a été modernisé avec l'arrivée, dans les années 30, de la petite fille Arts Déco des Créations Edia, les couleurs et motifs sont revus et modernisés avec l'arrivée de la gamme Rialta et Jolta.
Firmin Bouisset est précurseur de l’affiche publicitaire moderne. Cette petite fille est la première représentation d’une fillette sur une « réclame ». Elle était à l’avant-garde aux débuts du siècle des médias. Elle annonçait plus de cinquante ans à l’avance que l’enfant de moins de dix ans prendrait la vedette sur les murs et dans les lucarnes. On peut dire aussi qu'elle est subversive à une époque où il devait être formellement interdit d'écrire sur les murs. Une autre affiche de Firmin Bouisset est encore plus contraire à la bonne éducation; c'est celle des biscuits Touraine où on voit un jeune garçon uriner sur un mur. Une autre de ses affiches est connue : c’est celle pour les biscuits Lu et le petit écolier –là encore il utilise sa famille– est son fils.
Cette affiche est
moderne aussi par son graphisme. Le
procédé consistant à la représenter de dos nous incite à nous rapprocher pour
lire ce qu’elle écrit.
La famille Bouisset reconstituant les affiches de sa célébrité |
La maison Menier fut la première en France à renoncer au groupement serré à une époque où le lancement d’un produit nécessitait une démonstration par le texte dont cette affiche est dépourvue. Il y avait avant cette affiche des compositions très artistiques mais avec trop de personnages, trop de couleurs et souvent trop de texte. Ils furent les premiers en France à personnaliser un produit au point que le dessin du personnage seul, sans le secours du texte, suffit à l’évoquer
Ces publicités placardent les murs de
toutes les communes de France, soit sur des affiches collées sur zinc, des
tôles lithographiées, des plaques émaillées, avec le slogan « CHOCOLAT
MENIER » en blanc sur fond bleu. La
réclame sur le mur est certainement une de ces tôles lithographiées et il y
a trois de ces plaques émaillées sur cette carte postale. Cela prouve à
quel point Menier avait investi dans la
publicité
On trouve en 2012 dans les rayons de distribution alimentaire des tablettes de chocolat Menier (sans publicité de notre part) |
Pendant plus de 150 ans, les Menier, ont été présents dans la vie économique, politique, sociale et ont régné sur Noisiel (Seine et Marne) où était « la première chocolaterie du monde » ainsi qualifiée à l’exposition universelle de Chicago et ont dominé l'industrie chocolatière en France et dans le monde.
Nestlé a racheté
la marque en 1988 et commercialise des tablettes de chocolat pâtissier sous ce
nom en utilisant toujours la petite fille. Cent vingt ans après sa création,
cette image représente toujours la marque. Une belle réussite publicitaire !
LES PERSONNAGES (suite)
Madame Lesueur fut veuve en 1905. Serait-elle habillée de couleur claire si elle était en
deuil ?
Autrefois, en France, la durée du deuil était généralement
fixée, pour les conjoints, à un an pour le veuf et à deux ans pour la veuve.
Pendant la période dite de « grand deuil » et qui durait généralement
une année, la veuve ne devait porter que des vêtements de couleur noire. Elle
pouvait revêtir ensuite du violet, du mauve ou du gris et ce, jusqu'au terme du
deuil. C'est ce qu'on appelait la période de « demi deuil ». Les
autres membres de la famille devaient porter des vêtements de couleur sombre et
fixer un ruban noir autour de leur chapeau ou autour du bras (un brassard
noir).
Pour conclure, il
n’est pas possible de dater cette carte postale avec précision mais elle ne
peut être antérieure à 1905. Mais grâce à elle, nous espérons vous avoir fait
découvrir un illustrateur méconnu et la saga du chocolat Menier.