La charité de Pîtres (deuxième partie)
Les
documents que nous possédons sur la charité de Pîtres permettent de retracer son histoire seulement
pour les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.
1. La charité aux XVIIe et XVIIIe siècles
Deux documents écrits nous
renseignent sur son existence à cette époque : les statuts de 1648 et leur
copie de 1711.
A. Les statuts de 1648.
Ce document
est conservé aux Archives de Seine-Maritime* et provient du diocèse de Rouen
dont dépendait la paroisse de Pîtres jusqu'à la Révolution. Une première page porte le titre :
"confrérie de Pîtres confirmée par
Mgr Gautier le 10 octobre 1648". Il s'agit donc de la « confirmation »
ou acceptation de la charité de Pîtres par l'archevêque de Rouen. Le texte
lui-même est ensuite inscrit sur quatre pages et comprend un préambule, vingt
articles et une page entière de paraphes.
*ADSM G 1457
Le préambule est
ainsi rédigé : « État des règles ou statuts que doivent observer les
confrères et sœurs de la confrérie et charité instituée en l'église de
Notre-Dame de Pîtres sous le nom et
titre de Notre-Dame de Pitié »
Ce
préambule appelle deux précisions : d'une part des « sœurs » pouvaient faire
partie des charités, mais seulement comme associées. D'autre part, le patronage
choisi par la charité de Pîtres est celui de Notre-Dame de Pitié. Ce patronage
peut nous laisser penser que la charité de Pîtres existait déjà avant le XVIIe siècle. En
effet, c'est à partir du XVe siècle et plus encore au XVIe siècle que s'est
développée la dévotion à la Vierge de Pitié ou Pietà. Une grande
statue datée du XVIe siècle existe encore dans l'église.
Les
vingt articles du texte portent sur l'organisation de la confrérie (articles 1
à 6) et sur les obligations des frères (articles 7 à 20).
Pour
faire partie de la charité, il faut être "de bonne et décente vie"
: ne pourront faire partie de la charité les personnes qui blasphèment ou qui
jurent, et un frère peut être exclu de la charité pour ces mêmes raisons. Un
maître, qui porte le titre d'échevin, dirige la charité et s'occupe aussi de
l'administration et des finances (articles 4, 5, 6). C'est lui qui perçoit les
cotisations : 5 sols pour les frères servants à leur entrée, 50 sols pour les
affranchis « pour toute leur vie » et 2 sols 6 deniers pour les rendus
chaque année. L'échevin est nommé pour un an ; les frères, au nombre de sept
(le chiffre cinq inscrit
initialement est biffé), servent pour
sept ans ; chaque année un frère est remplacé, avec « l'advis du curé».
Les
obligations de la charité sont
nombreuses. Elles concernent d'abord les inhumations. Lors du décès d'un frère
ou d'une sœur, la famille avertit l'échevin qui doit aller sonner une cloche «
aux places principales et carrefours » pour avertir la population. Pour les
frères servants, la grosse cloche de l'église sonnera 12 coups (pas pour les
autres paroissiens). On récitera alors des prières….. puis on veillera le mort
"aux pieds duquel brûlera un gros cierge de 20 sols" aux frais de la charité. Le jour de
l'inhumation, les frères suivront le convoi funèbre « en habits décents,
c'est-à-dire avec un chaperon blanc sur l'épaule ». Enfin, les frères
feront dire des messes à l'intention des frères défunts. Un cas particulier est
évoqué dans l'article 14 : « si les dicts confrères ou sœurs sont morts de
pestes ou autres maladies contagieuses » on procédera aux funérailles «
charitablement », mais avec l'accord du curé et « pourvu que cela se
puisse faire sans péril évident ».
Les
frères servants sont aussi obligés d'assister à de très nombreuses messes, en
plus des messes habituelles, à savoir celles des dimanches, des fêtes
principales et des funérailles ; en effet, les charitons seront aux offices
tous les premiers samedis et mardis du mois, aux messes du Rosaire, des fêtes
de la Vierge et du Saint-Sacrement. Ils sont tenus de communier le plus souvent
possible.
L'assistance
mutuelle apparaît dans deux articles : l'aide aux frères indigents est
concrétisée par l'octroi de draps gratuits pour les funérailles ; l'aide aux
malades consiste à leur porter en procession les sacrements de l'église jusqu'à
leur domicile.
Enfin
la dernière page du document est entièrement occupée par les paraphes, parmi
lesquels on trouve 16 signatures et 4 marques. Les signataires sont les frères
servants de la charité, des associés, le curé et le trésorier de la fabrique* :
Guillaume Vigor. Deux familles de Pîtres sont particulièrement bien représentées : la famille Gossent avec 3
membres et la famille Duchesne avec aussi 3 personnes.
* La fabrique d'une paroisse était un conseil qui gérait les
biens de la paroisse.
Au
terme de l'étude de ce texte, quelque réflexions s'imposent sur trois points
importants du règlement de la charité de Pîtres de 1648.
On
remarque d'abord la lourde charge qui pèse sur les frères servants et sur le
temps consacré à leur fonction : avec les offices, les funérailles et
l'entraide, c'est une grande partie leur existence, certes pour un temps donné
de sept ans, que les frères offrent à la charité.
On voit
aussi la place prééminente que tient le curé au sein de cette charité : 8
articles sur 20 placent des actions de la confrérie sous "l'avis dudit
sieur curé".
On
trouve enfin une indication sur les finances : la seule dépense évoquée est
celle du luminaire. Et quelle dépense ! Puisqu'un gros cierge vaut 20 sols,
quatre fois le prix d'entrée à la charité comme frère servant.
B. La copie de 1711
Ce
document est conservé aux Archives Départementales de l'Eure à Évreux*. Il a
été écrit par le notaire du roi, le 21 juin 1711 d'après un original sur
parchemin. Sur cette copie de quatre pages apparaissent d'une part les statuts
de 1648, d'autre part l'enregistrement de l'entrée en fonction de deux nouveaux
frères en 1710.
* ADE 2F 2088
Les
statuts sont précédés d'une adresse et d'une salutation en latin à l'archevêque
de Rouen. La copie cependant marque quelques différences avec les statuts de
1648 tels que nous les avons vus précédemment. Tout d'abord dans le préambule
est précisée la motivation des paroissiens et trésoriers de Pîtres pour la constitution d'une charité : ils
sont "mus de dévotion et curieux
du salut de leurs âmes". C'est donc bien un salut personnel que
propose la charité : en servant ici-bas, on assure son paradis dans l'au-delà.
Autre
différence par rapport aux statuts de 1648 : les obligations des frères sont
allégées, on ne parle plus de messe des premiers samedis et des premiers mardis
du mois. Enfin sur cette copie les différents articles ne sont pas indiqués :
le texte se déroule sans que les paragraphes soient toujours nettement marqués.
La quatrième page est réservée à l'inscription de deux nouveaux frères et aux
paraphes.
Les
nouveaux charitons ont été reçus le 6 janvier 1710, il s'agit de Nicolas le
François et Jean Gossent, ce dernier étant trésorier de la fabrique. Lors de
leur réception les deux impétrants « se sont donné à chacun une robe et un
chaperon », qui resteront ensuite à la charité. La cérémonie s'est déroulée
devant le maître, Jean Lefrançois, le curé G. Mainière et le vicaire D. Dubosc.
En fait, cette partie du texte, qui ne concerne pas les statuts mais devait se
trouver à leur suite, semble issue d'un matrologue. Auquel cas, sur sa lancée,
le notaire aurait recopié le document in extenso.
Les
paraphes qui suivent attestent la
véracité de la copie : 7 personnes ont signé (dont le notaire, le curé,
vicaire), 5 ont fait une marque (dont le trésorier de la fabrique). Une fois de
plus la famille Gossent est fortement représentée. On trouve aussi deux membres
de la famille Lefrançois. La famille Depître fournit également deux frères
servants.
2. La charité au XIXe siècle.
Quatre
documents nous permettent d'appréhender l'histoire de la charité de Pîtres au
XIXe siècle : le bâton de procession et trois documents écrits : les statuts de
1838, une lettre du curé de Pîtres datée
de 1842 et une affiche de 1857. Des notes et des articles d'érudits complètent
cette histoire jusqu'au début du XXe siècle.
A. Le bâton de procession
Il est
encore adossé au mur du chœur de l'église. Il est en bois doré, de l'extrême
fin du XVIIIe ou du début du XIXe siècle. Il représente le Saint-Sacrement dans
un ostensoir. De chaque côté, deux anges agenouillés s'inclinent en signe
d'adoration. Quatre palmettes (dont l'une est brisée) entourent la scène et
supportent un dais couronné. Ce bâton est tout à fait comparable à ses semblables que l'on peut trouver dans
les églises de la région. Il est toutefois plus grand que la moyenne. Il
prouve l'existence d'une charité du Saint-Sacrement dont la présence à
Pîtres au XIXe siècle est corroborée par
des documents écrits que nous examinerons plus loin. Aucun autre objet de
l'ancienne charité n'est visible dans l'église.
B. Le règlement de 1838
Il a
été trouvé par hasard dans le livre de la fabrique de Pîtres déposé aujourd'hui au presbytère. Il s'agit
d'un document papier sur des feuilles volantes comportant 8 pages. Le règlement
est établi en huit titres ou chapitres ; on y retrouve l'essentiel de ce qui a
déjà été précisé dans les précédents règlements. Ainsi, on exige des frères
qu'ils soient « des hommes probes d'une conduite édifiante ». Ils seront
13 frères servants dont l'échevin et le prévôt. Il y a toujours des associés.
Le temps de service, de 13 ans, est particulièrement long et laisse supposer
des problèmes de recrutement. Ce service comprenait principalement « la disposition des morts dans le
cercueil, leur transport et leur inhumation »
Comme
dans les siècles précédents, les messes, offices, processions obligatoires sont
très nombreux. Lors de certaines messes, trois frères sont présents à côté de
l'officiant devant l'autel. Les amendes encourues par les frères sont très
détaillées : elles sont infligées pour des absences mais aussi pour une
mauvaise tenue aux assemblées (injures, fureur, ivresse) ou pour du bavardage
inutile. Il est interdit de se rassembler pour des repas collégiaux dans une
auberge ou un cabaret, mais chaque année il y aura le dîner du Saint-Sacrement
offert par un frère (sans doute par roulement).
Le curé
tient une place prépondérante dans la confrérie : il en est le chef et se situe
au-dessus de l'échevin. Comme tel, il préside les assemblées ordinaires ou
extraordinaires et il a voix prépondérante en cas de désaccord. Lui seul peut
permettre une assemblée extraordinaire. Il surveille les finances de la charité
: il est présent le jour de la remise des comptes par l'échevin et possède une
des trois clés du coffre, il reçoit 15 francs par mois de la charité pour les
messes qu'il dit à son intention. Pour bien marquer la place primordiale du
curé, le titre VIII précise « la charité est subordonnée et dans l'entière
dépendance du curé ».
La
dernière page confirme le rôle primordial du curé : c'est lui qui a écrit le règlement, "au
presbytère" et c'est lui qui signe en premier : J. J. Maillard. Neuf
frères ont aussi apposé leur signature. Les familles Vallée et Depîtres sont
les plus représentées.
Ce
règlement de 1838 montre à la fois des constantes et des différences par
rapport aux textes antérieurs : la confrérie est toujours organisée sur le même
schéma et l'omnipotence du curé y est très forte. Mais la charité a changé de
patronage : ce n'est plus Notre-Dame de Pitié qui en est la patronne, mais le
Saint-Sacrement. Autre changement : le texte insiste sur les amendes alors
qu'elles n'apparaissent pas ou peu dans les statuts de 1648 ou de 1711. Mais on
voit poindre des problèmes de recrutement, d'alcoolisme (le mot ivresse revient
plusieurs fois), de désaccords possibles entre les frères, et de finances :
dans le texte de 1838 tous les chiffres des amendes sont barrés et revus à la
hausse !
C. La lettre du curé de Pîtres en 1842
Monseigneur Olivier, évêque d'Evreux |
Cette lettre du curé Maillard est adressée au vicaire général, l'abbé Guibert, secrétaire de l'évêque d'Évreux, Mgr Olivier. Dans cette lettre, le curé fait allusion à la circulaire de l'évêque datée du 14 février 1842 : ce texte, envoyé à toutes les paroisses, invitait les curés à faire disparaître les abus les plus criants des charités (mauvaise tenue des charitons lors des cérémonies et scandales financiers) et surtout à faire passer les charités sous le contrôle direct du diocèse en limitant leur rôle.
La
lettre de Maillard s'articule en trois parties. Dans la première, le curé
rassure l'évêque sur les " bonnes habitudes de la charité" :
en premier lieu la charité s'est donnée des limites géographiques puisqu'elle "
ne sort jamais des limites de la paroisse pour aucune inhumation ". Deuxième
point positif pour la charité de Pîtres : elle ne fait aucun office à la maison mortuaire. Enfin, la confrérie
ne fait plus adorer la croix dans l'église, c'est le curé qui a repris ce rôle.
La
deuxième partie de la lettre concerne les réformes encore à faire : d'une part
la charité ne doit plus porter la croix à adorer dans les maisons des frères et
associés à l'époque du Saint-Sacrement en faisant payer. D'autre part, la
fabrique va acheter des tentures et draps mortuaires afin que la charité n'ait
pas le monopole des ornements, ce qui lui permet jusqu'à présent de faire payer
leur utilisation de 2 à 5 francs.
Enfin
le curé fait part au vicaire des difficultés qu'il voit venir concernant les
inhumations : certes, la confrérie
enterre gratuitement les indigents et fait payer normalement les associés lors
de leur enregistrement, pour les annuités et pour les funérailles (de 1 à 2
francs), mais elle fait payer aussi aux
autres paroissiens jusqu'à 16 francs le jour des obsèques. Le curé est
particulièrement scandalisé car l'argent ainsi récolté ne va pas dans le tronc
de la charité : il est réparti directement entre les charitons et chaque frère
" en jouit comme bon lui semble".
C'est
donc bien l'influence de la charité de Pîtres, comme celle des autres
paroisses, que l'évêque veut juguler en lui donnant un territoire circonscrit,
la paroisse, en diminuant ses revenus et en limitant également ses
interventions dans la liturgie.
Il est
à penser que si la charité de Pîtres a perduré, elle n'a pu le faire qu'en
rédigeant de nouveaux statuts conformes aux vœux de l'évêque Olivier, statuts
que nous ne possédons pas ; mais en étudiant les statuts des charités des
paroisses proches, par exemple ceux de la charité de Connelles*, (voir bulletin
n°139 de l' AMSE, juin 2011), on s'aperçoit que de nombreux articles sont
consacrés aux amendes pour manquement ou mauvaise tenue des frères : c'était là
encore pour le diocèse une façon de reprendre en main les charités, tout en
alimentant leurs caisses par la contribution des frères eux-mêmes, ce qui
permettait de moins demander aux autres paroissiens et par là même de les
dégager de l'emprise de la charité.
* Voir bulletin n°139 de l'association des Amis des
Monuments et Sites de l'Eure
L'affiche de 1857
Elle
est imprimée sur une grande feuille de 46,7 x 35,7 cm conservée aux Archives
départementales à Évreux*. Cette affiche porte le titre "Confrérie et
charité de Notre-Dame de Pîtres en l'honneur du très Saint-Sacrement et de
Notre-Dame de Pitié". Elle a été remise à « Charles Gossent, maître
en charge de l'année 1857 » et comporte un acrostiche sur son nom ainsi rédigé
:
Chrétiens soyons
toujours dignes du Tout-Puissant,
Goûtons sur cette
terre les délices et l'encens,
Oublions les
chagrins qui passent sur la terre,
Sachons nous rendre
dignes du royaume des Cieux, Sachons que là résident les Anges
bienheureux.
En tout lieu, en
tout temps, la céleste Marie
Ne cesse de veiller
celui qui toujours prie ;
Tâchons d'être
fidèles au Très Saint-Sacrement.
Cette
affiche est abondamment illustrée (voir page suivante). Ce genre d'image était
couramment distribué aux frères et figurait souvent placardé sur un mur de leur
demeure. Au centre, une grande image montre Saint Georges terrassant le
dragon, et sur le pourtour 12 vignettes représentent des saintes ou des saints.
(voir pages suivantes)
* ADE FI 805
D. Une nouvelle charité, 1875-1876
Trois
autres documents, inscrits à la suite des statuts de 1838 font état des
difficultés financières de la charité et de la création d'une nouvelle
confrérie. Le premier texte, daté du 21 mars 1875, entérine un état de fait :
depuis 1863 la charité a augmenté ses tarifs pour les inhumations. Ce document
est signé par le curé Vaurabourg et cinq frères seulement.
Un
deuxième texte, du 16 avril 1875 déclare l'ancienne charité dissoute. La raison
invoquée est dans le premier paragraphe
: " par suite de l'impossibilité de se recruter ". Il n'y a
plus d'associés, c'est-à-dire que les tarifs en vigueur depuis 1863 sont
désormais appliqués à tous les paroissiens, sauf pour les indigents et les
frères servants.
De
plus, la charité oblige les familles à requérir au moins 8 frères sur 12, bien
sûr pour assurer des revenus aux frères puisque chacun d'eux perçoit 2 francs;
mais le motif mis en avant est " afin que les cérémonies religieuses
puissent être dignement remplies". Le texte est paraphé par le "
président de la confrérie ", c'est-à-dire le curé Vaurabourg, qui est
le seul à signer.
Un
autre document, intitulé " nouvelle confrérie de charité " et
daté du 18 juin 1876, fait suite au précédent et sert en fait de nouveaux
statuts à la charité. Une brève introduction précise : " la confrérie
de charité de Pîtres étant forcée, sous
peine de périr, de se reconstituer sur de nouvelles bases, elle adopte la même
constitution sauf le principe de gratuité". La menace de disparition
de la charité semble bien réelle puisqu'il ne reste à cette époque que trois frères, dont Désiré
Gossent et Joseph Loisel qui deviennent respectivement échevin et prévôt de la
nouvelle charité. Sept nouveaux frères dont le texte donne la liste rejoignent
les trois anciens :
Aublé
Théophile, Langeley Louis, Lequeux Louis, Brunel Jean-Baptiste, Loisel Anselme,
Loisel Sosthène, Devé Paulin, Benoît Hyacinthe
Le
document insiste sur le rôle du curé qui est non seulement le directeur de la
charité mais fait aussi office de trésorier. Il est noté que " les
fonds seront employés à l'embellissement de la charité et aux besoins de
l'église, au jugement de M. le curé. "
Il faut
croire que les souhaits du curé quant à " l'embellissement de l'église
" furent réalisés. On sait en effet que le curé Vaurabourg entreprit
de grands travaux sur l'église. La charité y participa puisque l'une des trois
nouvelles cloches, la moyenne, fut offerte par elle en 1878 et un pilier et une
porte furent restaurés en 1885, également grâce à elle.*
* Note d'Henri
Bordeaux
Le dernier
document concernant la charité est un compte incomplet de l'exercice 1905. Les
recettes sont constituées exclusivement des sommes versées par les familles au
moment des inhumations. Les tarifs ont encore changé et varient en fonction de
la "classe". Un enterrement de première classe coûte 80 francs,
tandis que pour la dernière classe, la quatrième, on ne paie que 15 francs. Les
dépenses sont constituées pour la plus grande part des « rétributions »
allouées aux frères pour les inhumations (celles-ci allant de 1 à 5 francs
suivant la classe ), ou pour leur présence à des cérémonies (0,50 franc pour
chaque frère). D'autres dépenses concernent l'entretien du char (environ 5
francs par an) et surtout le luminaire (environ 50 francs par an). La balance
des comptes est cependant excédentaire de 119,75 francs en décembre 1904.
Les
comptes de 1905 sont les derniers documents qui permettent de suivre l'histoire
de la charité de Pîtres. Après cette date, il n'y en a plus trace. On peut
penser qu'elle a été alors dissoute, peut-être dans la tourmente et la
confusion engendrée par la Loi de Séparation des Églises et de l'État en 1905.
Sur les
trois siècles pour lesquels il a été possible de reconstituer son
histoire, certes fragmentaire, la charité de Pîtres a présenté une évolution
comparable à celle des charités de la région : les frères ont vu leur charges
s'alléger, leurs fonctions être de plus en plus cantonnées aux inhumations ;
par contre ils ont été soumis à un système d'amendes de plus en plus
implacables et lourdes. Le principe de gratuité a été aboli. La charité a
changé de patron au gré des modes et elle a été placée de plus en plus sous la
tutelle de l'Église. Enfin, elle a disparu au début du XXe après s'être heurtée à des difficultés
financières et des problèmes de recrutement.
Mais si
la charité de Pîtres a totalement disparu, au point de n'avoir laissé aucune
trace dans la mémoire collective, le mouvement des charités, lui, est encore
bien vivant dans certaines régions de l'Eure. C'est ce que nous verrons dans
une troisième partie dans le prochain numéro.
L'affiche de la charité de Pîtres
En
partant du haut de la feuille, de gauche à droite, on trouve :
Saint
Mathieu : il rédige l'Évangile. Derrière lui se tient un homme ailé, symbole du
personnage. La légende qui indique Saint Marc est donc erronée.
Le
Saint-Sacrement : il est présenté dans un ostensoir marqué IHS. (Iesus
Hominum Salvator) Deux anges adorateurs sont agenouillés de part et d'autre.
Le
Sacré-Cœur de Jésus : il est surmonté d'une flamme, du triangle de la Sainte
Trinité et de la colombe du Saint Esprit. Une couronne d'épines l'insère, et
son sang coule dans un calice. Sur le côté gauche de l'image, une croix
rappelle la crucifixion tandis qu'un pélican nourrissant ses petits symbolise
le sacrifice de Jésus.
Saint-Marc
:
il est dans la même attitude que Saint Mathieu. Un lion est couché à ses pieds
comme dans les représentations traditionnelles. Donc là encore la légende est
fausse puisqu'elle indique Saint Jean-Baptiste.
Saint
Luc : lui aussi écrit l'Évangile. Cette fois-ci la légende est correcte
puisque l'évangéliste est bien accompagné d'un bœuf.
Sainte
Madeleine : comme les autres personnages des vignettes, elle est drapée à
l'antique, mais son vêtement est particulièrement élégant avec des plis
savamment disposés et un long voile bordé d'un galon. Elle est entourée des
symboles de la futilité féminine : coffret à bijoux, vase à parfum, pot à
onguent. Un crâne, ou vanité, rappelle la vie terrestre.
Sainte
Julie de Césarée : elle tient la palme des martyrs ; une flamme jaillit de sa
tête
Sainte-Geneviève
:
elle se tient devant Paris que l'on aperçoit en arrière-plan avec un pont et la
cathédrale Notre-Dame.
Saint-Paul
et Saint-Pierre : le premier est reconnaissable à son épée, sa barbe longue
et sa chevelure fournie ; le second tient les clés du paradis et arbore une
barbe courte et un début de calvitie. Les deux apôtres ne sont pas identifiés
et l'image ne comporte pas de légende.
Saint
Jean-Baptiste : il est revêtu d'un vêtement court de berger et porte un
bâton. Un mouton est à côté de lui. Aucune légende ne précise son identité.
Sainte-Marguerite
:
elle sort du dragon qui l'avait avalée.
Saint-Jean
évangéliste : il rédige lui aussi la Bonne Nouvelle. Un aigle, son
symbole, se dresse sur ses pattes devant lui.
Pourquoi
l'imprimeur a-t-il mis un saint Georges terrassant le dragon au centre de
l'affiche ? Peut-être simplement ne disposait-il pas du saint Charles qui
aurait été en accord avec l'acrostiche...