1 mars 2017

Fiefs et manoirs au XVIIIe siècle à Pîtres et au Manoir

Les Hautes-Loges
Les Hautes-Loges


Fiefs et manoirs au XVIIIe siècle à Pîtres et au Manoir



Du Moyen Âge jusqu'à la fin de l'Ancien Régime1, la plupart des terres appartenaient à des grands propriétaires : les seigneurs. Certes, quelques paysans possédaient des terres hors fief, ou alleux, mais le fief restait le mode de propriété le plus répandu et justifiait l'adage « nul terre sans seigneur ». 
1. On appelle Ancien Régime la période qui va du XVIe au XVIIIe siècle et qui précède la Révolution,  laquelle a créé un « nouveau régime ».

Les seigneurs pouvaient être soit laïques, soit ecclésiastiques. Ainsi à Pîtres au XVIIIe siècle les deux principaux seigneurs étaient le baron de Pont Saint-Pierre et les religieux du Collège de Rouen.
La propriété d'un fief était partagée entre le seigneur et le vassal : le seigneur, propriétaire direct du fief, le confiait à un vassal qui le « tenait », c'est-à-dire en avait l'usage et la jouissance moyennant des droits à acquitter au seigneur, précisés dans un document écrit, ou aveu. Par exemple des aveux datant du XVIIe siècle, mais encore valables au XVIIIe siècle, rendus par le comte de Rouville ou les chevaliers de Galantine, faisaient de ces personnages les vassaux du baron de Pont Saint-Pierre pour les terres qu'ils avaient à Pîtres2.  
2. Archives Départementales de Seine-Maritime 1 ER 573

Au cours des siècles les vassaux s’étaient beaucoup affranchis des seigneurs et les fiefs étaient devenus patrimoniaux et héréditaires : un vassal pouvait ainsi vendre, aliéner, ou diviser son fief, sous certaines conditions toutefois.
La possession d'un fief en propriété directe ou en vassalité donnait des droits sur les paysans résidant sur le fief : droits rémunérateurs (comme les taxes, les redevances, les péages, les impôts en argent ou en nature et prestations diverses), droits honorifiques (colombier, armoiries), ou droits de justice.
Il est souvent difficile de connaître la répartition des fiefs pour un lieu donné car le fief ne coïncidait avec aucune autre division locale, qu'elle soit topographique comme le village, judiciaire comme le baillage, ou religieuse comme la paroisse. Ainsi un fief pouvait englober plusieurs villages, ou le terroir d'un village pouvait être réparti en plusieurs fiefs. C'était le cas pour Pîtres et le Manoir. À Pîtres, outre le baron de Pont Saint-Pierre et ses vassaux déjà cités, d'autres seigneurs possédaient des terres, comme les Religieux des Deux Amants, la famille de Boniface, ou l'Abbaye de la Lyre.
Les documents sur ces fiefs subsistant aujourd'hui comprennent des plans, des cartes, des actes notariaux, des aveux, des terriers, des cueilloirs3.. Quelques-uns mentionnent le manoir du seigneur ou de son vassal. Le manoir, qui se différencie du château dès le XVe siècle car il ne comprend pas de fortifications, était en fait le centre de l'unité de production agricole que représentait le fief. Il comprenait une demeure où résidait le seigneur (ou son vassal), parfois remplacé par un intendant, et des bâtiments agricoles : charreterie, grange, colombier. Jouxtant le manoir, une ferme, parfois deux, complétaient le domaine. D'autres fermes plus lointaines étaient réparties sur le fief, si celui-ci avait une certaine importance. Parfois même le seigneur disposait de plusieurs manoirs.  
3. Terrier et cueilloir sont des registres qui donnent la liste des terres et des personnes relevant d'un fief pour en préciser les charges; ils sont souvent accompagnés d'un plan délimitant les parcelles.
Beaucoup de terriers et de cueilloirs ont disparu à la Révolution, brûlés par les paysans. Pîtres possède encore ces documents, commandés à la fin du XVIIIe siècle par Caillot de Coquéréaumont, baron de Pont Saint-Pierre. (ADSM 1ER 747 et 564)


À Pîtres


Au XVIIIe siècle, le village était réparti sur trois fiefs principaux : les Essarts, la Poterie, la vallée Galantine, qui appartenaient à trois seigneurs différents : la famille Lemonnier était propriétaire des Essarts, tandis que les familles de Tiremois et de Germiny possédaient le fief de la Poterie. Quant à la vallée Galantine, après avoir appartenu à une famille éponyme au XVIIe siècle, elle était passée par mariage au XVIIIe siècle à Alexandre Boniface, baron de Bosc le Hard. 
La ferme de la rue de la geôle à Pîtres, ancienne propriété de M.et Mme Meslin
La ferme de la rue de la geôle, ancienne propriété de M.et Mme Meslin
La ferme de la rue de la geôle à Pîtres - plan cadastral napoléonien.
 et le plan cadastral napoléonien
La ferme de la rue du Bosc à Pîtres
La ferme de la rue du Bosc
La ferme de la rue du Bosc à Pîtres - plan napoléonien où elle est notée Dubocq
et le plan napoléonien où elle est notée Dubocq
La vallée Galantine à Pîtres sur un plan de 1781 (ADSM)
La vallée Galantine sur un plan de 1781 (ADSM)
La vallée Galantine à Pîtres sur le cadastre napoléonien (ADE)
et sur le cadastre napoléonien (ADE)

Il y avait à Pîtres d’autres seigneurs, comme Louis Caillot de Coquereaumont, ou le prieuré des Deux Amants. De ces fiefs il reste aujourd'hui de grosses fermes au cœur même du village, rue du Bosc, rue de la Geôle, rue de l'Eglise. On peut les repérer telles qu'elles étaient au début du XIXe siècle sur le premier plan cadastral de Pîtres. Quelques beaux bâtiments subsistent actuellement. Pour l'une de ces fermes, la vallée Galantine, l’essai de reconstitution de son histoire est un peu plus aisé car il existe un dossier aux Archives Départementales de l'Eure (ADE).
Comme nous l'avons vu précédemment, elle appartenait à la famille de Boniface au XVIIIe siècle. En 1765, la veuve de Jean-Baptiste de Boniface partagea ses biens entre ses trois fils et c'est le deuxième qui hérita de la ferme, mais il la vendit quatre ans plus tard à Pierre Delacour. Elle changea plusieurs fois de mains au XIXe siècle et devint alors une poudrière utilisant le salpêtre local. Ce n'est qu'en 1993 que l'établissement fut fermé. Il ne reste malheureusement rien des bâtiments de l'ancienne ferme. On ne peut l'évoquer que grâce à deux plans, l'un de 1781 et le plan cadastral de 1834. La ferme apparaît comme un ensemble de bâtisses encadrant une cour carrée ou rectangulaire. À l'intérieur de cet espace on aperçoit un puits.
La ferme de la rue de l’église à Pîtres, anciennement rue Dumontier
La ferme de la rue de l’église, anciennement rue Dumontier
La ferme de la rue de l’église à Pîtres, cadastre de 1834
et le cadastre de 1834

Le Manoir.


La paroisse du Manoir était partagée en deux principaux fiefs au XVIIIe siècle, l’Essart et les Hautes loges. Pour chacun de ces deux fiefs subsistent les manoirs.

L’Essart

Le nom même du site indique son emplacement, en bordure de forêt ( essarter = défricher). Le fief de l'Essart appartint d'abord à la famille Guéroult et passa au XVIIIe siècle à la famille Hallé dont le membre le plus influent était Gilles Louis Hallé, comte de Rouville.
La ferme de l’Essart au Manoir

La ferme de l’Essart au Manoir restaurée
La ferme de l’Essart restaurée

Le manoir de l'Essart est visible sur deux plans anciens. Un plan terrier du XVIIIe siècle montre une cour close de murs, cernée par plusieurs bâtiments dont la demeure sise entre cette cour et un jardin. Dans la cour, le colombier, situé entre le four et le pressoir, fait face au logis.
Le tout est entouré d'espaces plantés et de bois. Une large allée, dénommée « avenue » sur la légende du plan, conduit à l'entrée du manoir.
Le plan cadastral du Manoir de 1835 montre peu de changements par rapport au XVIIIe siècle, si ce n'est la disparition de l'un des bâtiments agricoles de la cour (le four) et la construction d'un logis supplémentaire. Au XIXe siècle le domaine de l'Essart fut vendu et divisé. À la fin du siècle, huit fermes de polyculture se partageaient ses terres. Aujourd'hui il n'y a plus d'activités agricoles à l'Essart, mais le manoir a conservé une grande partie de ses bâtiments. Le logis principal a été restauré, la bergerie est devenue une habitation et la grande grange du XVIIe siècle a été transformée en gîte rural. Le colombier a disparu et le pressoir a été démonté et remonté à Saint-Amand des Hautes terres.


Les Hautes loges

Plan du Manoir en 1787
Plan du Manoir de 1787 (ADE) 

Les Hautes-Loges au Manoir au début du XXè siècle (carte postale, coll.part.)
Les Hautes-Loges au début du XXè siècle (carte postale, coll.part.)
Les Hautes-Loges au Manoir aujourd'hui
et aujourd'hui

Le fief des Hautes loges était la propriété de la famille Lemercier au XVIIe et XVIIIe siècle. De ce fief subsiste encore le manoir construit au XVIe siècle sur un léger escarpement dominant la Seine. Seul le logis lui-même a été conservé. C'est une belle demeure en calcaire, silex, et briques. La façade côté Seine est particulièrement remarquable : la partie droite du mur offre une alternance de lits de silex et de petites pierres calcaires et est percée de deux fenêtres dont l'une a gardé ses meneaux en pierre. La partie gauche est décorée de silex bleus, de briques et de pierres calcaires qui dessinent des motifs géométriques. Il surmonte une ancienne porte, aujourd'hui murée, avec un arc en plein cintre.

Les Hautes-Loges au Manoir
Les Hautes-Loges au Manoir
Les autres bâtiments, dont un colombier, visible sur un plan de 1787, ont disparu et l'espace qu'ils occupaient est aujourd'hui bâti de maisons récentes.


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Le passé rural de Pîtres et du Manoir s'est déroulé dans le cadre de seigneuries locales, petites entités qui dépendaient souvent de structures plus importantes comme la baronnie de Pont Saint-Pierre. Les seigneuries étaient mouvantes, passant de mains en mains, partiellement ou totalement, par héritage, mariage ou vente. Il en reste des traces par les bâtiments des fermes et des manoirs qui subsistent encore. Leur intérêt architectural et historique nous invite à les préserver comme patrimoine de ces communes.



Nous remercions les propriétaires qui nous ont reçus et autorisés à reproduire des documents : M. et Mme Meslin, Delaby, Hue et Chéron.